Thème : arrêtez de me
regarder !
V : Bon !
Tu vas continuer ça longtemps ?
E : Hein ?
Quoi ? Comment ?
V : Ne fais
pas l’innocent ! Tu sais très bien de quoi je parle.
E : Pas du
tout. De quoi parles-tu ?
V : Tu sais
très bien de quoi je parle, Erik ! Arrête de me regarder ! C’est un
des thèmes de ton atelier de l’écrit.
E : QUOI ?
Tu m’appelles Erik et tu parles de l’atelier de l’écrit ? Mais tu viens de
briser le quatrième mur !
V : Pas
exactement. Pour briser le quatrième mur, il faudrait que je m’adresse au
public tandis que là je m’adresse à l’auteur. C’est très différent. D’ailleurs,
chers participants de l’atelier, reprenez donc un petit quelque chose à manger
ou à boire ! Voilà ! C’est ça, briser le quatrième mur.
E : Bon ben
maintenant que tu as illustré ce concept brillamment, tu veux bien revenir au
sujet ? C’est pas qu’on se fait chier mais l’histoire n’avance pas.
V : Bon, je suis la vie.
E : ah !
Enfin, on progresse ! Depuis le début, on se demandait qui étaient les
personnages de ce dialogue. Maintenant, c’est clair. Erik et la Vie discutent.
On progresse !
V : Ah bravo !
Les pieds dans le plat ! Donc toi tu veux mettre l’intrigue et le thème
complètement à plat de manière explicite ? Ca manque de finesse.
E : Oui, ben
c’est vrai que ça manque de finesse, j’avoue, mais je ne savais pas vraiment
comment le présenter. J’avais très envie d’écrire quelque chose mais je ne
savais pas comment. Et quand c’est ainsi, je bidouille un texte qui tient avec
des bouts de scotch et de la ficelle.
V : Arrête
de me regarder !
E : Ah oui,
pardon ! Revenons-en au thème ! Donc oui, je regarde la vie mais je n’y
participe pas. Je ne sais pas dire comment ou pourquoi. Trop de cerveau, trop
de respect pour imposer ma présence, mes points de vue, mes envies à des gens
qui n’ont rien demandé. Vivre ma vie aux dépens de celle des autres. Ou plus
exactement, me frayer un espace où exister dans cette boite de sardines qu’est
la vie. Si je ne joue jamais des coudes pour trouver ma place, je mourrai. Et
non, ça n’est pas une figure de rhétorique. Si on ne trouve pas sa place, on
finit par se mettre une balle dans le caisson dans l’indifférence générale.
V :
Dis-donc, Calimero, évite d’étaler tes idées noires ! Tu sais bien que te
plaindre attire plus de négativité que de soutien.
E : Ah oui,
merde ! Donc la vie, c’est comme une boite de sardines. Moralement, je
trouve répréhensible de jouer des coudes parce que ça veut dire que les
sardines que je rencontre vont se prendre un peu mes coudes. Mais si je veux
arrêter de regarder la vie, c’est une des étapes.
V : c’est un
bon début. Et quoi d’autre ?
E : Ben, il
y a truc qui me semble presque impossible à faire. C’est trouver ce qui me
passionne.
V : pourquoi ?
Est-ce que tu n’as pas de passion ?
E : Ben,
non. C’est un peu le problème. J’aime bien certaines choses mais avec
modération. Et je reconstruis ma vie pierre après pierre. D’un champ de ruines
ça ressemble maintenant à une maison en construction. C’est très encourageant.
Mais je ne sais pas comment me découvrir une passion.
V : pour
savoir ce qui te passionne, il faudrait probablement que tu essayes des choses.
E : Je
savais que tu allais dire ça ! En même temps, c’est moi l’auteur de ce
texte donc forcément, je le savais. Mais ça m’ennuie quand même. Parce que je
suis un peu autiste sur les bords et essayer de nouvelles choses, c’est
compliqué. Il m’est tellement plus simple de rester cloitré chez moi. Là ça
suppose d’identifier et lister 100 activités potentielles puis de me renseigner
sur les lieux, les horaires, les contacts, les prix. Et puis de me mettre des
coups de pieds aux fesses pour aller faire ces choses là.
V : Si c’est
ainsi que tu fonctionnes, alors c’est ainsi que tu peux procéder.
E : Oui, j’imagine
que n’importe qui d’autre dirait que les choses se produisent plus
naturellement, de manière plus « fluide » ? Mais ce n’est pas
aussi naturel pour moi.
V : Tiens !
Calimero est de retour ?
E : Désolé !
Bon, je pense qu’on a couvert le thème. Je vais rendre la parole et me refaire
une tartine. C’est ça aussi que d’arrêter de regarder la vie pendant que les
autres n’attendent pas pour s’en payer une tranche.
Texte libre
Un regard jeté nonchalamment par la fenêtre
révèle les strates cotonneuses amoncelées. Au plus près de l'horizon, les
strates se succèdent, minces, écrasées par la distance. En relevant le regard,
les couches de nuages s'élargissent et révèlent des aspérités lumineuses semblables
à un réseau veineux. Une brise pousse cette bourre légère qui s'effiloche, se
déchire, puis qui se rassemble.
A travers les branches biscornues
et tortueuses apparaissent les toits métalliques, quelconques et inintéressants
de bâtiments industriels. Inintéressants? Vraiment? Mais pourquoi? Parce que
quelqu'un a décidé que flatter ses émotions comme ceci plutôt que comme cela
était l'essence même de la vie? Parce que cette décision est collective et
partagée par une majorité imperméable aux choses? C'est vrai que les humains
sont des objets intéressants. Mais de là à leur consacrer l'exclusivité...
bonjour le narcissisme!
Sous les carrés de verre derrière
lesquels se pressent des silhouettes, des feuilles orange jonchent la dalle de
béton.
La tête pivote. Ramène le regard
à l'intérieur de la pièce que son corps occupe. Conscience de son corps.
Conscience des caractères affichés sur un écran et des autres corps dans la
pièce.
Jeu : rimes en –al, –che, –re, –lette,
et –oin
D’une cocotte en fonte, tapissez le fond avec du foin Assurez-vous que ce matelas ne sera aucunement bancal
Et allongez dessus la plus majestueuse côtelette.
Versez généreusement dessus deux verres de rouge qui tache.
Pas le premier pris non plus mais pas un vin onéreux.
Ajoutez carottes, navets, et chou et de foin étalez une nouvelle mèche.
Refermez d’un lourd couvercle avec soin.
Pendant la longue cuisson au four, faites les pipelettes
Et buvez le reste du vin qui rend heureux
Jusqu’à cuisson complète ; ce sera un régal.
Jeu : mot aimé
Un mot que j’aime et dont jamais je ne me lasse,
c’est l’adjectif « fugace ». Etymologiquement à rapprocher de la fuite –on
pensera à l’expression « tempus fugit » – il est auditivement et sémantiquement
plus proche encore de la fugue. Tout comme cette note musicale qui rebondit de
tintement en tintement, qui se dérobe aussitôt qu’elle est apparue, la chose
fugace est légère, diaphane, et surtout insaisissable, car sa taille, sa
vitesse ou sa complexité la dérobent à notre corps et à nos sens.