samedi 27 juillet 2019

Comment aider mon ami dépressif

Avant-propos :

Ma première confrontation avec la dépression, c'est quand John (prénom modifié), un ami proche, a été atteint de cette maladie. Nous avions alors 19 ans. Et cette maladie, ce n'est pas ce que j'imaginais. Avec le temps, j'en ai été témoin chez plusieurs amis ou connaissances. Et j'ai été malade moi-même.  J'ai accompagné certaines de ces personnes dans des instants ou des périodes difficiles. J'en ai aussi discuté avec quelques anciens malades. Le présent article n'est que mon opinion sur la manière d'agir quand un proche souffre de dépression. Si des professionnels peuvent vous conseiller, préférez leurs conseils !

La dépression prend plusieurs formes. Elle peut se manifester par plusieurs symptômes. Tous les malades n'auront pas la même liste de symptômes, ils ne vivront pas ces symptômes avec une même intensité, et ces symptômes seront peut-être vécus différemment selon le mode de vie et l'entourage du malade. Par ce feuillet, j'espère vous proposer une manière d'agir pour préserver votre ami, vous-même, et peut-être aussi votre relation.

Se préserver soi-même :

Votre ami est malade. Son comportement a changé. Vous constatez son abattement fréquent, ou son incapacité à gérer sa vie quotidienne. Vous souhaitez l'aider et vous comptez y mettre tout votre cœur parce que cet ami compte pour vous.

J'avais cette même idée quand John a sombré. Et cette idée était mauvaise. Parce que la dépression, ça prend du temps à se soigner. Plus de temps que vos efforts intenses et votre relation ne résisteront à l'usure, comme mon amitié avec John n'a pas résisté. Après un an, peut-être un an et demi, je constatais mon impuissance à l'aider, par incompréhension, et par trop d'investissement, et la distance entre nous s'est creusée jusqu'à l'abandon. Je pensais pourtant avoir fait mon possible pour créer des moments de confort, d'humour et de joie.

Accompagner une personne dépressive, ça nécessite de se ménager. Parce que l'énergie que vous y investissez est un don que vous ne récupérerez pas de si tôt. Alors n'investissez votre énergie qu'à la hauteur de ce que vous avez en trop. Et n'attendez rien en retour! C'est un don, pas en pure perte mais presque. C'est de l'amour qu'on donne et en échange duquel il ne faut rien attendre que notre propre satisfaction de l'avoir donné. Alors investissez seulement les efforts que vous serez capable de maintenir sur le long terme. Sur 3 ans, par exemple. Parce que c'est probablement à une telle durée qu'il faut vous attendre.

Votre ami tirera un plus grand bénéfice de votre soutien faible et durable que de votre soutien intense et éphémère. Alors ménagez-vous et faites-vous passer en premier. Si vous voulez aider votre ami, vous devez aller bien vous-même et avoir toujours l'envie d'interagir à dose faible mais récurrente. Ça peut n'être qu'une fois par mois. Ne vous mettez pas la pression ! ...Sauf en cas d'épisode suicidaire, mais une telle situation est si grave que je préfère ne pas donner de conseil plutôt que de risquer de vous en donner un mauvais.

La dépression, c'est quoi ?

Contrairement à l'idée qu'on s'en fait, la dépression c'est différent de la tristesse. La tristesse, c'est un état transitoire qui se superpose à votre personnalité et après quelques minutes, heures ou jours, vous revenez à votre état normal. La dépression, c'est un peu pareil, sauf que c'est un état stable. C'est le nouvel état "normal", habituel, de votre ami, et c'est un état qui est décalé par rapport à son état avant la dépression.

Aussi, la dépression c'est une maladie de la volonté. Quand on est dépressif on manque de volonté. Et l'un des problèmes importants, c'est que prendre rendez-vous chez son médecin pour soigner sa dépression, ça demande de la volonté. Ce que n'a plus le malade. Ce qui peut donc rendre impossible la prise de rendez-vous. Il est possible de se savoir malade de dépression et de manquer de volonté pour prendre rendez-vous chez le médecin pendant plusieurs années.

Avec John, je pensais qu'il avait besoin d'un coup de pied aux fesses pour avancer, et surtout il avait besoin de se mettre lui-même ce coup de pied aux fesses. Mais l'incapacité de se mettre un coup de pied aux fesses, c'était précisément un symptôme de la maladie.

Pour une personne qui n'a jamais vécu la dépression ou ne l'a jamais côtoyée, il est difficile de se rendre compte à quel point la volonté manque pour mener à bien les actions les plus simples et les plus rapides du quotidien. Ainsi, un dépressif peut perdre la volonté nécessaire pour gérer au jour le jour sa vaisselle, son ménage, son alimentation et même son hygiène personnelle. Et pourtant, il se peut que d'autres tâches plus difficiles, plus longues ou plus exigeantes physiquement et mentalement restent à la portée du malade... si ces tâches relèvent d'un souhait personnel ne revêtant pas l'aspect d'un devoir. Les tâches que l'on se doit de faire ont un caractère singulier et le cerveau dépressif sur-réagit à cette contrainte. Pour le malade qui contemple le devoir à accomplir, c'est comme si son cerveau mettait en oeuvre des stratégies de diversion très efficaces pour éviter le devoir. Ainsi, il est possible qu'une tâche ô combien détestée telle que passer la serpillière vous attire subitement sur les coups de 4 heures du matin tandis que vous brûlez la chandelle par les deux bouts pour tenir l'échéance professionnelle qui expire le lendemain.

Un dépressif a du mal à agir, mais il ressent toujours (sauf cas très spécial) des émotions et des sentiments. Il aimerait voir du monde, mais il manque souvent d'énergie pour le faire. Si vous lui proposez de se joindre à vous, il sera reconnaissant même s'il ne vient pas. Et de temps en temps il acceptera l'invitation. Il ne sera peut-être pas l'amuseur des foules mais le seul fait d'agir est bon pour son cerveau. Les autres activités comme le sport et les activités manuelles sont aussi bénéfiques. Et toutes les interactions positives. N'hésitez donc pas à saluer ses efforts (je l'ai déjà dit) et à témoigner votre gratitude ou à reconnaître sa bonté quand il agit à votre faveur.

Et comment on agit pour l'aider ?


En tant qu'ami d'un dépressif, je vous conseille de vous renseigner sur les tâches que votre ami a besoin d'accomplir. Et si ça le dépannerait "d'emprunter votre volonté" pour faire ces choses. Il sera peut-être utile que vous preniez rendez-vous pour lui s'il en est incapable. Quand on souffre de dépression, on vit cette incapacité à réaliser les choses les plus simples de la vie comme une forme d'indigence et on se sent honteux de demander de l'aide. Et on ne veut pas déranger la vie des gens avec nos soucis, alors que nos soucis peuvent être bien plus graves que le dérangement qu'on cause en demandant de l'aide.

Un dépressif a tendance à avoir moins d'activités et moins de stimulation qu'en période de bonne santé. Il se montre moins capable d'organiser des activités ou de se lancer spontanément dans l'accomplissement d'activités. Faites lui donc des propositions ou des suggestions. Mais encore une fois : ménagez-vous ! Car si vous vous improvisez coach au quotidien, votre motivation va s'épuiser en un rien de temps.

Un dépressif a besoin d'encouragement et de feedback positif. Alors il n'est pas question non plus de lui mentir pour lui dire de bonnes choses. Mais souligner votre fierté de ses efforts aidera à remonter son estime de lui-même. Et votre encouragement l'engagera dans une dynamique où le monde réagit positivement à ses efforts. Un esprit cynique pourrait décrire cela comme donner un sucre à un chien pour renforcer ses comportements positifs. Hé bien peut-être. Je ne suis pas là pour juger, mais juste pour témoigner de ce qui me semble utile pour aider un ami à se reconstruire.

Le chemin vers la rémission est facilité par plusieurs facteurs. D'abord, par le suivi médical auprès d'un psychiatre. Ce suivi inclut des consultations régulières et éventuellement un traitement médicamenteux qu'il faut respecter scrupuleusement et éviter de perturber par la consommation de drogues diverses. C'est bête à dire, mais selon mon observation une importante proportion des dépressifs que j'ai connus consommaient du cannabis en parallèle de leur traitement.

Pour trouver un psychiatre le plus tôt possible, il sera utile que vous aidiez votre ami à contacter un professionnel et prendre le premier rendez-vous. Le médecin généraliste vous orientera dans un premier temps vers un centre médico-psychologique (CMP) auquel adresser le dossier médical (la lettre de recommandation du généraliste) de votre ami. Sur cette base, le CMP prendra 1 mois pour vous répondre qu'ils ont trop peu de ressources et ne peuvent s'occuper que de gens qui cumulent simultanément addictions, casier judiciaire, schizophrénie, et dépression. Et vous aurez perdu 1 mois. Alors le plus tôt possible, consultez le site de l'AFTCC (j'y reviens dans un instant) pour dénicher un praticien libéral proche qui ne prendra peut-être votre ami comme nouveau patient que dans 2 ou 3 mois... Quand on prend ce premier rendez-vous, l'attente semble longue mais il n'y a pas d'alternative.

Choix d'un psychiatre et AFTCC

La psychiatrie est une discipline médicale qui est beaucoup critiquée. A raison et/ou à tort, ça mériterait un article à part entière.

Dans ma recherche d'un praticien, il a importé pour moi de trouver un médecin qui applique une démarche basée sur la science et non sur des fadaises rejetées voire condamnées depuis longtemps par la communauté scientifique, comme c'est le cas de la psychanalyse. Les thérapies basées sur la science et qui démontrent la meilleure efficacité sont appelées TCC ou Thérapies Cognitivo-Comportementales. Une association nationale regroupe les praticiens de cette démarche : l'AFTCC ou Association Française des TCC. Leur site web propose une carte sur laquelle vous pourrez localiser les praticiens de votre zone géographique et trouver leurs informations de contact : https://www.aftcc.org/carte_membres


Conclusion

J'espère vous avoir offert une vision réaliste du sujet. Votre amitié ne résistera peut-être pas mais en vous ménageant et en abaissant la barre de vos attentes, vous vous donnerez les meilleures chances. Faites des démarches positives envers votre ami mais seulement à la mesure de l'énergie que vous avez en surplus. Félicitez-le, encouragez-le, invitez-le ! Et riez ! Le rire est bon pour tout le monde.

mercredi 24 juillet 2019

L'enfant sur le mail

C'est une langue de terre étirée à l'infini. Elle commence sous nos pieds et s'étend jusqu'à l'horizon, bordée à gauche et à droite par une mer d'huile. La surface de la mer est d'un bleu moyen assez peu remarquable et le regard ne perce pas sa surface.

Le ciel est bleu clair. Aucun nuage gris n'assombrit cette voûte et aucun nuage blanc ne vient la décorer non plus, lui offrir une moustache. Et le soleil, s'il est probablement la source du plein jour a le bon goût de se faire discret.

C'est une langue de terre uniformément large de 50 mètres environ. Quand on porte les yeux à l'horizon, on se rend bien compte du contraste : la moitié gauche est un plat rivage au niveau de la mer et constitue un chemin uniforme infini. La moitié droite forme une dune dont la crête aplatie s'évanouit aussi là où le regard ne porte pas.

Au sommet de ce mail naturel se dresse l'enfant. Il a 12 ans. Une légère brise agite sa frange châtain trop longue, qu'il écarte d'une main au geste imprécis. Dix mètres plus bas, un cortège innombrable s'avance sur la grève, de l'horizon à l'horizon. L'enfant y reconnait quelques rares visages des élèves de son école mais la foule lui est majoritairement inconnue.

Ces autres, en contrebas, marchent et discutent. L'un quitte parfois ses voisins et part s'entourer de nouveaux compagnons de voyage.

Le regard de l'enfant glisse d'un corps à un autre. Immobile et silencieux, il contemple la multitude. Ses yeux balaient le panorama et se fixent sur l'horizon. Observant toujours la grève peuplée, il reprend son chemin, sur le mail.